Des Anglais enfermés au fort des Têtes sous le Premier Empire

En février 1809, un courrier de la Préfecture annonce au maire de Briançon l’arrivée de 2600 prisonniers anglais. 

Une lettre du 12 juin 1811 du colonel directeur des fortifications nous indique « qu’il y a dans le fort, environ 1200 prisonniers de guerre, de l’armée de terre ou de mer au service de l’Angleterre » et dans une des geôles du fort des Trois Têtes on trouve des graffitis représentant des bateaux de guerre du début du 19e siècle qu’on peut leur attribuer.

 

Graffiti de bateau, prisons du fort des Têtes

 

Mais d’où venaient ces prisonniers ?

 

De 1806 à 1814, l’Empire français instaure le blocus continental destiné à empêcher le commerce maritime du Royaume-Uni. Les navires qui tentent de passer sont parfois arraisonnés par des corsaires français qui s’emparent des marchandises, capturant équipages civils et militaires. En 1808, Napoléon 1er tente de placer sur le trône d’Espagne son frère Joseph, entraînant une guérilla et un conflit qui ne prendront fin qu’en 1814. Très vite, l’armée britannique, venue défendre ses intérêts sur la péninsule ibérique, apporte son soutien aux insurgés. En janvier 1809, les troupes anglaises battent en retraite pour peu de temps… De nombreux prisonniers affluent vers la France.

 

 

Pourquoi Briançon ?

 

Depuis l’annexion du Piémont à la France en 1802, il n’est plus nécessaire de maintenir dans la ville une garnison importante : on ne compte plus que 200 à 300 soldats. Les forts sont alors convertis en prisons. Le 10 mars 1810, est placardé un arrêté du préfet Ladoucette annonçant : « L’Empereur, dans sa profonde sagesse, a ordonné l’établissement, à Briançon, d’un dépôt d’Anglais faits prisonniers pendant la guerre d’Espagne… Vous sentirez vivement la marque de confiance que vous donne SA MAJESTÉ, en remettant aux braves habitants des Hautes-Alpes la garde extérieure des ennemis de la paix et du continent. S’il en était qui parvinssent à s’échapper … on les reconnaîtrait à leur accent, à la frayeur qu’inspire aux lâches le nom Français… Il me serait doux, Messieurs, d’avoir à citer au gouvernement des traits de zèle et à provoquer des récompenses… » (A.M. Briançon).

 

 

Vivre et mourir au fort des Têtes.

 

Nos recherches, en relation avec Mr. Adrian Thomas, descendant d’un de ces prisonniers, nous ont permis de retrouver deux relations, publiées en Angleterre, de ces séjours forcés à Briançon : le journal de William Thomas, un jeune marin, et le journal d’un musicien très jeune aussi.

Les archives municipales de la ville nous ont également fourni de précieux documents.

Lors de leur arrivée au fort, les prisonniers étaient conviés à une curieuse cérémonie par le Gouverneur de la place : ils étaient alignés à l’entrée du fort, entendaient un discours menaçant, puis assistaient au défilé de la troupe. Elle était si réduite que le gouverneur, pour donner une impression de nombre, faisait défiler les mêmes hommes autour du bâtiment d’entrée, les derniers à peine disparus, les premiers passaient à nouveau. Les Anglais étaient ensuite enfermés dans les chambrées, avec des paillasses au sol que la municipalité était tenue de fournir, et une couverture pour deux. Le charbon qui alimentait les poêles était pulvérulent et plein de soufre. Les prisonniers étaient « aussi noirs que des vagabonds », et tombaient malades à cause des fumées. Les récalcitrants tentés par l’évasion étaient mis au cachot, dans de terribles conditions : « L’endroit était si sombre que nous pouvions à peine nous voir au plus fort du jour : il n’y avait pas de fenêtre, seulement un petit trou près du toit qui laissait filtrer une clarté vers midi, il n’y avait pas de paille pour s’allonger et seulement un endroit sans eau tombant sur nous » (W. Thomas).

Ces conditions ne décourageaient pas les évasions, souvent rocambolesques. W. Thomas s’échappe avec ses compagnons en descendant le rempart grâce à une corde de fortune. Le jeune musicien, quant à lui, profitant d’une livraison, passe par la grande porte, au nez et à la barbe de ses geôliers.

Tous cherchent à rejoindre le Piémont, ignorant souvent qu’ils sont en territoire français. Ces évasions seront vouées à l’échec. L’isolement dans le fort n’est pourtant pas total, certains Briançonnais profitent de la situation pour faire de la contrebande. Ainsi, des habitants de Fontchristiane introduisent des outres d’eau de vie à l’aide de cordes par les latrines. D’autres prisonniers se font envoyer aux hospices de Briançon et en ressortent ivres à cause des alcools que des habitants leur vendent en cachette.

Si certains prisonniers refusent l’autorité, d’autres moins récalcitrants sont autorisés à travailler dans les fermes ou chez les artisans. Il s’en suivra même des mariages : trois sont inscrits dans les registres d’état civil de la ville.

Les conditions de vie dans le fort vont aussi engendrer leur quota de morts (beaucoup mourront du typhus). Nous en avons recensé 167 (militaires et civils) entre 1809 et 1813.

 

Les prisonniers quittent Briançon.

 

En 1813, l’Empire est menacé par les grandes puissances européennes. La Grande Armée, décimée en Russie pendant la campagne de 1812, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le Ministère de la Guerre décide de déplacer les prisonniers anglais qui seront alors dirigés vers Maubeuge le 4 décembre 1813. À la fin de l’Empire, et jusqu’en 1825, le Ministère Britannique de la Marine et des Colonies enverra des courriers au maire de Briançon pour rechercher ses ressortissants ou demander des extraits mortuaires.

 

 Service du Patrimoine - Philippe DELMAS

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